Cela faisait des heures que je marchais sans vraiment savoir où aller. Tout ce que je voulais, c’était de m’éloigner le plus possible de ma satanée meute. Depuis la matinée j’avais essayé de rester avec eux. D’être enfin présente au cœur de la meute. Mais l’envie de m’évader secrètement était une chose plus forte que moi. Malgré les efforts que je fournissais chaque jour, j’en avais toujours marre de voir leur museau. Leur regard se poser sur moi. Ou pire encore: s’ils croyaient pouvoir me côtoyer. De toute façon, j’avais beau être dans la meute des Nightmares, au fond je pense avoir le cœur d’une simple solitaire. La compagnie n’avait jamais été mon point fort. La solitude, oui. Je détestais qu’on me colle ou que l’on me suive à chacun de mes pas. Je n’avais, clairement, besoin de personne pour pouvoir avancer dans ma vulgaire vie. L’esprit ailleurs, je continuais de marcher me laissant guider par mon propre instinct. Je sentais que je quittais peu à peu les territoires où je me trouvais et que j’avais traversés. Lentement, je me rendais sur les territoires neutres. Au moins, je savais que j’aurais enfin un peu de paix. De silence. De calme, surtout. Et je ne recevrais aucun ordre de qui que ce soit. Et j’espérais aussi ne rencontrer pas le moindre loup. Ça faisait peu de temps que je faisais quelque rencontre mais j’en avais déjà par-dessus la tête. Je suis restée, pendant quelques mois, dans mon coin, seule, mais dès que je faisais le premier pas pour me libérer, il y avait toujours un autre canidé d’une meute qui venait interrompre mon plus grand calme. Et ensuite on s’étonnait pourquoi j’étais autant méchante et arrogante. « Repos », tout le monde savait ce que ça voulait dire ce mot. Mais d’après moi, pas tout le monde.

Lentement, je commençais à nouveau sentir que j’étais sur un nouveau territoire. Eh bien … Avais-je fais comme un long voyage pour arriver ici ? Cela m’étonnait beaucoup. M’arrêtant net, j’avais l’impression de ne plus sentir mes pattes. Mes faibles membres commençaient lentement à m’abandonner. Mais déterminée comme j’étais pour trouver du calme, je voulais absolument continuer. Levant le museau droit vers le ciel, j’humais l’air ne serait-ce qu’un petit instant. L’odeur fraîche. On avait presque l’air d’être dans la période du beau matin. L’humidité présente avait fait ressortir toutes les odeurs du coin. De la terre fraîche en passant par les fleurs puis les senteurs des arbres. Ça respirait la joie. Un peu trop à mon goût, même. Rebaissant ma tête, j’effleurais les petits horizons de mon regard perçant. Il y avait tellement de petits sentiers que je pouvais emprunter. Après mûre réflexion, j’avais décidé de prendre un léger sentier où je pensais avoir trouvé le calme. Enfin. Partant au petit trot, je longeais ce dernier à travers les broussailles et les hautes herbes. Les fleurs étaient un peu partout sur mon chemin. Mais d’ici peu, elles mourront toutes sans exception. L’hiver approchait à grand pas. Et ça se sentait chaque matin. Le froid enveloppait lentement et délicatement les territoires. Tous les territoires. Personne n’échappera à cette saison. Mais le plus rude ce sera pour nous, les loups. Nous sommes de plus en plus nombreux et les proies se feront de plus en plus rares. Qui sait. Cela déclenchera certainement une bataille. Les tous jeunes louveteaux ne survivront certainement pas non plus. Et n’en parlons pas des anciens. Les plus faibles seront aussi des proies pour l’hiver glacial qui se préparait. J’espérais que les loups moins importants meurent sous cette emprise enneigée. Égoïste dirais-je ? Oh non. Réaliste.

Grimpant toujours plus haut sur cette immense roche embellit par la nature, je sentais le froid devenir de plus en plus intense. Je m’étais mise à trotter pour pouvoir prendre une meilleure cadence et pour, ensuite, me reposer au plus vite. Tout ce qu’il ne fallait pas faire pour avoir un peu de calme … Je continuais donc de trottiner avant de faire quelques foulées au galop. Mais mes pattes étaient légèrement plus faibles depuis mon départ et il me tardait de pouvoir m’allonger. Même s’il faisait froid, l’épaisse fourrure que la nature m’avait donnée prenait forme sur mon corps. Mon poil des saisons chaudes tombaient peu à peu pour enfin donné mon doux poil des saisons froides pour me ternir au chaud. Sans elle, j’aurais sûrement été éteinte depuis des années. Alors que j’avais repris mon trot à travers les broussailles, quelques rochers faisaient leur apparition. J’y étais presque. Mais très vite, je sentais une présence. Peu importe où elle se trouvait, je la sentais. Lentement, je ralentissais en humant l’air tout autour de moi. Puis je sentais que cette odeur me chatouillait même la truffe. Je finis par m’arrêter et regarder sur mon côté droit. Tiens, tiens … À ma grande surprise – et comme par pur hasard, hein – voilà un autre loup. Je soupirais bruyamment en levant un de mes pattes avant pour reprendre mon chemin. Mais une force surnaturelle me retenait. Restant immobile pendant deux petites secondes avec ma patte levée, je tournais une fois de plus mon regard vers le loup en question. La louve, dirais-je même. Cette dernière venait de glisser sur une masse de rocher et venait aussi de tomber sur la terre ferme dans un léger choc. Quelle imbécile. De plus, ça puait l’Heaven jusqu’à moi. Mais en réfléchissant bien, c’était une Heaven. Eux qui étaient, normalement, connu pour être la plupart du temps sympathiques. Légèrement moqueuse, je déviais mon chemin vers cette petite masse de rocher pour aller à sa rencontre. Je verrais bien quelle serait sa réaction face à une Nightmare. Et je verrais bien si je pouvais m’amuser un petit peu avec elle. J’en riais intérieurement d’avance. Lentement, je m’avançais légèrement abaissée sur mes pattes pour tenter d’être la plus discrète possible. Je ne la voyais pas mais je la sentais. Et d’après moi, elle venait tout juste de me sentir à son tour. Le silence rodait autour de nous. De moi. Puis une voix douce et charmante brisa ce dernier en deux.

- « Où êtes-vous ? Qui êtes-vous ? Je sais que vous êtes là. »

Elle semblait être si innocente. Gardant le silence encore un peu, je finis par contourner la masse de roches afin de la voir de dos. Son pelage était d’un gris qui dégradait peu à peu – par endroit – au noir. Me redressant sur moi-même, je voulais me sentir grande en face d’elle. J’étais tout de même née avec une taille plus grande que celle des femelles standards. Autant que je m’en vente un petit peu. De plus, ma carrure n’avait rien de féminin. Presque un mâle dans la peau d’une femelle. Je m’approchais d’elle lentement, marchant sur la pointe des pattes. Lorsque mon museau pouvait facilement effleurer sa queue, je me redressais en rentrant légèrement ma tête. Cela me donnait plus particulièrement l’air d’une louve atteinte de la rage. De ma voix rauque et sèche, je finis par lui cracher mes mots.

- « Alors comme ça on se balade inconsciemment ? Le danger rôde, tu sais. »

Des simples mots et je n’ai répondu à aucune de ses questions. Je ne voulais pas, d’ailleurs. À quoi ça lui servirait d’où je viens ? Comment je m’appelle ? À rien. De plus, ça fera du bouche à oreille et je n’aime pas ça. Quoique … Si cela pouvait me rendre légèrement connue, ça ne me dérangerait pas pour autant. Mais connue sous la forme d’un cannibale assoiffé de sang et non connue sous la forme d’un agneau qui ne demande qu’à s’amuser. J’attendais impatiemment sa réaction. Sa réponse. Je voulais tout voir aujourd’hui. Même si mon repos n’était pas prévu pour le moment, ça patientera. La meute s’en passera de mon absence. Et moi, je m’amuserais comme une petite folle …

Je sentais … La peur. Cette odeur me démangeait la truffe depuis que je lui ai lancé mes mots. Avoir peur aussi vite, c’est dommage. Je voulais simplement m’amuser, moi. La femelle qui se dressait en face de moi semblait être une louve assez timide. Rien de plus merveilleux pour continuer à la taquiner un peu. Je ne lui ferais aucun mal. C’est promis. Peut-être moralement mais pas physiquement. Je n’étais du genre à faire le premier pas pour attaquer. Je préférais laisser l’adversaire mariner dans sa propre colère et attendre qu’il fasse le premier pas lui-même. Je sentais qu’elle essayait d’éviter mon regard. Mais moi, je ne lâchais pas du mien. Je ne faisais pourtant rien. J’étais juste debout. Face à elle. Complètement innocente. Moi qui croyais que les Heavens étaient un peu plus courageux. D’après ce que je voyais, ce n’était pas vraiment le cas. Elle finit donc par relever les yeux vers les miens, me répondant.

- « Je pourrais te poser la même question et puis d'abord comment as-tu fais pour te retrouver derrière moi alors qu'il n'y avait personne quelques minutes auparavant ? Sans prévenir tu apparais dans mon dos comme ça, ce n'est pas très gentil de ta part ! De plus tu ne m'as pas répondu qui es-tu et de quel clan tu viens ? »

Elle était tellement sûre d’elle au début de ses mots. J’avais vu quelqu’un de fort face à moi. Je n’avais plus vu la petite timide. Mais plus elle parlait, plus sa voix devenait faible. Jusqu’à ce que son dernier mot file dans un murmure. Alors … Qu’est-ce qui se passe ? C’était d’un ridicule. Puis elle détourna à nouveau son regard du mien. Je continuais alors de la regarder, silencieuse comme jamais. Je n’avais presque pas envie de lui répondre. J’avais juste envie de partir et continuer mon chemin pour aller me reposer dans un endroit calme. Très calme. Et puis c’est vrai, ce que j’avais fait n’était pas très sympathique. Laissez-moi rire. Qui a déjà vu un Nightmare être sympathique ? Si c’est le cas, ce loup n’avait rien à faire dans la meute. Ouvrant légèrement ma gueule, je finissais par lui répondre avant que moi-même je perde patience.

- « Je sais, ce n'était pas gentil de faire ça. », disais-je d'un air moqueur. « Je ne suis pas tombée chez les Nightmares pour rien, imbécile. Et qu'est-ce que ça peut te faire qui je suis ? Sache que je ne suis que l'image de ta plus grande peur. Ou de ton imagination. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus. »

Sa question m’avait déjà agacée. Je n’avais même plus envie de lui parler. Pourquoi est-ce que les loups que je croise veulent savoir d’où je viens. Qui je suis. Et j’en passe. Ne pourrais-je donc jamais échapper à cette question idiote ? Soupirant d’agacement, je passais près d’elle sur sa gauche, marchant droit devant moi et lentement. Je croyais qu’il était temps pour moi de partir.

Je continuais à avancer, n’entendant plus aucun son de sortir de la gueule de la louve inconnue à mes yeux. L’avais-je choquée ? Par simplement curiosité, je m’arrêtais. C’était plutôt amusant de parler ainsi avec des loups qu’on ne connait pas. De les transformer en pantin petit à petit. Les manipuler. Les rabaisser. Tout ce que j’aimais. Pourtant, petite je n’étais pas du tout comme ça. Eh non. J’étais même une Heaven, pour tout savoir. J’étais une louvette comme toutes les autres, qui respirait la joie de vivre. Qui courait derrière les papillons. Qui aimait les fleurs. Qui taquiner ses frères. Tout était différent de la louve que je suis aujourd’hui. Je m’étais comme … Transformée au fil des mois. Des années. Suite à la mort de ma mère, je n’étais plus la même. Je fuyais les loups. Le monde. J’étais seule dans la nature. Une vraie solitaire. Je grandissais dans la famine. Surtout en période d’hiver, étant donné que ma génitrice avait rendu l’âme en cette saison. L’hiver n’était plus le même à mes yeux. Pourtant, il y avait une époque où je courrais pour attraper les flocons avec la gueule. Mais aujourd’hui, plus rien. Et puis j’avais découvert la meute des Nightmares. Ils m’ont accueilli à bras ouvert, même si je voyais leur sourire sarcastique sur leurs babines. Ils m’avaient tout appris. Entre temps, j’étais déjà devenue une peste. Je puais le solitaire. C’est ainsi qu’on m’appelle par « la chieuse des Nightmares », aujourd’hui. On ne m’avait pas surnommé ainsi pour rien. Lentement, je tournais mon regard vers l’Heaven. Avait-t’elle autre chose à dire ? À rajouter ? La louve perçait à nouveau le silence avec une voix douce et calme. Comme si je ne lui avais rien dit précédemment. Comme s’il ne s’était rien passé.

- « Je n'ai jamais rencontré beaucoup de Nightmares mais j'ai beaucoup entendu parler de ce clan mais vous n'avez pas l'air si agressif que ça juste un peu moqueur et égocentrique je trouve. »

Pauvre innocente. Je voyais en elle qu’elle n’avait jamais été face à un Nightmare. Un vrai. Et d’ailleurs, elle a encore de la chance de tomber sur moi. J’en étais peut-être une, mais quand je vois l’imbécilité qui se promène dans la tête des autres, j’ai bien peur qu’ils sont capable de faire n’importe quoi à une louve comme elle. Qu’elle s’estimait heureuse, pensais-je. Continuant de la regarder sans la moindre expression sur mon museau marqué par les traits les plus sadiques, je me tournais délicatement vers elle. Enfin de compte, je pensais ne pas partir d’aussitôt. Lentement, je faisais quelques pas, restant face à elle. Juste moqueurs et égocentriques ? Nous ? Les Nightmares ? Non, jamais. Nous étions bien plus. Nous étions tout de même les loups les plus réputés pour être assoiffés de sang. Les plus dangereux des terres de Road of Freedom. Prenant ma voix rauque et sèche, je lui balançais quelques paroles au museau.

- « Nous sommes juste des moqueurs et des égocentriques ? Sache que nous sommes bien plus, ma chère. Nous ne somme pas connu pour être gentils et drôles. Mais plutôt pour être de vrais monstres. »

Mes paroles furent de simple mot qui passaient dans un souffle entre mes babines, les laissant glisser près des oreilles de la louve grise. Je voulais donner cet air étrange. Cet air de … Comme si je voulais lui confier un secret. Reculant ainsi mon museau de ses oreilles, je la regardais de haut en relevant légèrement ma truffe vers le ciel, baissant mes yeux pour atteindre les siens.

Je continuais de la regarder. Elle en faisait de même avec son regard perdu et ses grands airs de louve bien sage. Je me demandais pourquoi je perdais mon temps avec elle. Au début, j’étais bien en quête d’un endroit pour me reposer et ne plus à supporter ses Nightmares. J’avais beau être dans leur meute, je n’en portais pas plus d’attention sur eux. Ils avaient tous le don de m’exterminer de fatigue. De me prendre la tête à chaque instant. Je n’avais pas choisis de m’enfuir pour rien. Je n’avais pas choisis de trouver un endroit pour me reposer sans une quelconque raison. J’avais envie d’espace. De l’air. De liberté. Et me voilà en train de parler à une Heaven. Je perdais mon temps. C’était clair et net. Rabaissant ma tête, je dégageais un soupir d’agacement. Je ne souhaitais plus perdre mon temps avec elle. Sans attendre la moindre réponse de sa part, je lui tournais le dos une fois de plus. J’étais enfin prête à partir. Grimpant encore le long de la montagne et arrivé au sommet. Je laisser tomber sur le sol et fermer les yeux, goûtant au silence que renfermait ce territoire. Je m’apprêtais à faire de nouveaux pas, dans une nouvelle direction.  

- « Pourquoi ? C'est dur à exprimer mais on ne peut naître méchant ou gentils, qu'elle est le plaisir d'être cruel ? Être égoïste n'apporte rien de bon, rien du tout. Ne connais-tu pas la reconnaissance des autres après avoir aidé autrui ? Quel est le plaisir de tuer, d'être méchant juste pour l'être. Est ce qu'au fond de toi même aimes-tu ce que tu es devenu et es-tu content de tes actes ? »

Sa voix était douce. Et peu importe de comment je la voyais en ce moment-même, elle avait bien raison. Mon visage renfermé c’était presque adoucit, laissant mes traits sévères s’estomper. J’avais simplement reprit le visage d’une louve comme les autres. Gentille. Aimable. Avant j’avais aidé les autres. Même si j’étais qu’une loupiote sans défense, j’aidais n’importe qui. J’étais gentille avec tout le monde et je jouais sans m’arrêter. Il fut aussi un temps où on entendait mon rire. Mes questions. Mon intérêt envers les autres. Oui, oui, j’étais bien comme ça autrefois. Je restais quelques instants sans bouger, masquant le visage doux que j’avais pris. Je ne voulais pas que les autres me voient ainsi. Ce serait un immense gâchis de détruire ma réputation de sale louve égoïste et sadique. Ca fait des années que je tiens à cette image de moi. Jamais je ne la changerais. Me libérant un peu de ses pensées floues, je regardais autour de moi. Petit à petit, je prenais vite conscience que je m’étais totalement absentée pendant un instant, oubliant la présence de la louve derrière moi. Je baissais mon regard vers mes pattes, tentant de savoir où j’en étais. Ah, oui ! Venait-t’elle de me faire une leçon idiote ? Peut-être que c’est leur technique entre stupides Heavens pour attendrir quoi que ce soit. Relevant mon regard en face de moi, mon visage se sera à nouveau, reprenant mes grands airs de méchante.

- « Tu m'en apprends des choses. Seulement, chez certains loups la gentillesse s'est envolée depuis des années. Et vous, les Heavens, vous ne comprendrez jamais. »

Sur ces mots, je restais dos tourné à elle et fit mes premiers pas. Oui, j’étais en train de m’en aller. De m’en aller sur des simples paroles. Mais des paroles qui semblaient m’avoir légèrement touchée. Même dans ce moment-là j’avais horreur d’être en présence de quelqu’un. Je n’aimais pas qu’on me voit comme ça. Je haïssais, même.

Je continuais à marcher, n’osant même pas jeter un bref regard derrière moi. Tout ce que je voulais, c’était partir. Je perdais mon temps à discuter avec cette louve. Une louve bien sympathique mais sa sympathie me fatiguera en un rien de temps. Oui, j’étais désagréable. J’étais une méchante aux yeux de tous. Et alors ? Cela me plaisait. J’étais fière de ma personne. Et j’en étais bien heureuse de ne plaire à personne. C’était mieux ainsi. Mieux pour moi comme pour eux. Tous. Je m’en croyais être enfin débarrassée. J’avais la sensation de même regretter mon approche vers elle. Si je l’avais ignoré, je ne n’en serais pas là maintenant. Le silence régnait derrière moi. Comme si elle avait compris que j’en avais marre. Agacée de ce monde. De ces canidés. J’aurais peut-être mieux fait de suivre la trace de mes frères, il y a longtemps de cela. Peut-être qu’ils sont au calme, eux. Je continuais de marcher, avant que mon ouï se dirige vers des pas martelant le sol. Je n’avais pas tout de suite compris ce que ça pouvait être. D’où est-ce que ça venait. Mais je n’avais pas eu le temps de tourner la tête au bon moment. Une ombre grise me frôla sur le côté, avant de se placer devant moi. Face contre face. C’était encore elle. Cette Heaven. D’ailleurs je ne connaissais pas son prénom. Mais qu’importe. Je n’en n’avais absolument rien à faire. M’arrêtant, je levais mon regard vers le sien. Est-ce qu’elle prenait le risque de se retrouver en bas de la montagne en deux minutes seulement ? Il y avait des chances. Elle me regardait droit dans les yeux, moi de même.

- « Tu me crois incapable de comprendre ? »

Je fronçais mon regard, sans montrer un signe d’attaque. Elle le sentait bien que sa compagnie m’agaçait au plus haut point. Et pourtant, elle continuait. Après tout, elle avait le courage d’affronter un membre de la meute la plus sanguinaire des terres de Road of Freedom. Quel courage. Elle en avait. Je restais ainsi, en face d’elle, la regardant dans les yeux. Le regard vitreux planté dans le sien, ne lâchant aucune prise. Il eut un moment de silence. Un silence précieux qui m’aidait à réfléchir. Puis, doucement, j’avançais de deux, trois pas en sa direction. Les oreilles légèrement baissée sur mon petit crâne. Oh, non. Je n’allais rien lui faire. Je ne prenais pas exemple sur les autres loups de ma meute, attaquant sans cesse pour rien. Juste histoire de leur donner un air … « cool ». C’est d’ailleurs cette attitude que je fuyais en eux. Ils ont tous l’air pitoyable à force. Ils font en eux une âme qui ne sait qu’attaquer pour se défendre. Un jour notre réputation sera anéhentie par eux. Et ça, je le regretterais toute ma vie si ça venait à prendre vie. À être réel. Je continuais donc d’avancer, avant de m’arrêter proche de son museau. Mon souffle se déposait sur sa truffe humide, et je sentais aussi le siens se déposer sur la mienne. J’entrouvrais légèrement la gueule, afin d’y laisser glisser quelques mots.

- « Tu en es incapable. Quelque chose à rajouter avant mon départ définitif ? »

Le ton doux n’existait pas. C’était d’une voix rauque, légèrement souillée et presque masculine qui venait de sortir de ma gueule. Je ne faisais pas exprès de prendre cette air ou cette voix, mais l’habitue s’en est pris de moi. Désormais je n’ai plus cette petite voix efféminée que portent toutes les femelles du territoire. Eh oui. Le temps m’avait changé. Le temps avait fait de moi la louve que je suis aujourd’hui. Et je ne le regrette pas. Jamais.