J’ai froid. Je grelote sous mon épais pelage. Mais j’aime cette sensation de fraîcheur qui engourdit les réflexes de bons nombres de loups, évidemment je fais partie de ces loups que le froid tient en éveil permanent. Une délicieuse odeur de lapin me titille les narines, me plaquant au sol je piste avec frénésie ma proie. Au bout de quelques minutes, je découvre un frêle lapin perdu dans le creusement de son terrier. M’élançant dans les airs, je sens déjà le sang chaud descendre dans ma gorge. J’ai tout calculé, je dois atterrir juste derrière sur le lapin, un coup de croc et à table. Crac. Ma proie relève la tête, tourne les oreilles et détale avec précipitation dans les buissons. J’atterris bêtement sur le sol dur. Tournant immédiatement la tête vers le « crac », je découvre un night’ un mulot à la gueule. Découvrant les crocs, je l’incendie de tous les noms. Il ne comprend pas qu’il vient de me faire rater ma proie. Dans une rage folle, je tourne les talons et disparaît dans les buissons à mon tour. Je suis dans une humeur meurtrière, jamais il ne faut me chercher le matin, jamais ! Je pars au pas de course de la Plaine Vénéneuse, piquant droit vers les Terres Neutres. Pour me calmer les nerfs, rien de mieux qu’une virée à La Rivière. Le clapotis de l’eau a le don de m’apaiser, un truc de fou. J’aime cet endroit été comme hiver, printemps comme automne. La frontière Nightmare est loin derrière moi, courant comme une diablesse j’évacue ma colère. La solitude me tenaille, je ne parle à personne et personne ne me parle. Au moins, j’ai la paix et personne ne vient me faire chier. Que c’est bon de sentir cette brise glacée me mordre la peau malgré mon pelage. Hum… Le paysage défile devant mes yeux, je respire un bon coup et pique un sprint hallucinant jusqu’à ma destination. J’ai hâte de m’asseoir sur le rocher en surplomb que j’ai découvert il y a belle lurette. Je m’approche pas à pas. Un lapin est proche de moi, sans bruit je le piste. Il est devant moi à une trentaine de centimètre à faire je ne sais quoi. Je m’apprête à bondir quand en grand « PLOUF » se fait entendre et paf, mon lapin se fait la mal. J’ai envie de hurler ! Mais que qu’ils ont tous aujourd’hui à faire du bruit quand je chasse ! Merde à la fin ! Je suis prête à aller mettre une bonne racler à ce… à ce… à ce dérangeur de chasse, quand un « à l’aide » plaintif me fit tendre l’oreille. Une petite voix, une loupiote. Sans plus une seule pointe de colère, je m’élance à toutes allures vers la rivière. Là, devant moi une forme blanche entrain de couler. Sans hésitation je plonge. L’eau glacée me coupe la respiration, il me faut quelques secondes pour reprendre haleine. Agitant rapidement et efficacement mes pattes, j’arrive rapidement à attraper le louveteau par la peau du coup. Nageant en diagonal j’ai du mal à atteindre la berge. Mais une fois celle-ci atteinte, une question torride se pause : comment remonter ? Puisant dans mes dernières forces et dans un ultime effort, je m’agrippe à la végétation. Hissant tant bien que mal mon fardeau, je m’écroule épuisée sur le sol herbeux. Mais me relevant bien vite, je lèche avec vivacité le pelage trempe de la loupiote. Une solitaire. Elle est jeune, moins de 10mois. Mais où est donc sa mère ? Avec une voix douce je commence à la questionner :

-Qui-es tu petite ? Où es ta maman ? Et que fais tu toute seule ici ?

C’est la première fois que ma voix est si douce. J’en suis choquée. Mais ce petit bout de chou me fait craquer avec son petit museau noir et blanc. De quelques coups de museau amical, je l’invite à se lever et à se secouer. Dégoulinante, le poil collant, j’ai tôt fait d’expédier l’eau hors de mon pelage. Je la regarde, la détaillant. Mon regard est chaleureux et amical. Les seuls êtres que je ne pourrais jamais tuer sont bien les louveteaux. Ces petites bêtes gaies et joyeuses. Je les adore !

Mes gestes sont lents et doux, mon regard chaleureux ne cesse de s’attarder sur les traits fins de la jeune loupiote. Son pelage collé contre son frêle corps accentue cette impression de devoir la protéger. Elle semble si fragile, prête à se casser en deux au moindre coup de vent. Jamais encore je n’avais ressenti le besoin de protéger un être, mon mauvais caractère fait de moi une louve un peu égoïste. Je suis peut-être malade ? Ai-je de la fièvre ? Je ferme les yeux trente secondes ; aucun mal de tête recensé et aucune impression de chaleur au niveau du front. Je secoue par précaution une à une mes pattes… et à part envoyé voler de l’eau rien d’autre. Au lieu de me soulager, cette vérification m’inquiète. J’ai beau aimer secrètement les louveteaux et ne jamais leur avoir fait du mal, je leur ai montré qu’un visage faignant l’indifférence. Enfin bref, passons. J’adresse un sourire à la boule de poil tremblotante face à moi. Le temps se rafraîchit. L’hiver est enfin là. J’aime bien l’hiver. Plus de chaleur insoutenable, de la neige qui recouvre le sol. Le paysage qui revêtit que nouveaux atouts. Mais –il y a toujours un mais- le bémol c’est que les animaux se cachent, hibernent, on meurt de fin. Il faut bien sûr que les animaux ne s’accordent pas avec les saisons. Ce que je déteste énormément, c’est la pluie. Me baigner ne me gêne absolument pas, mais sentir l’eau dégouliner sur son pelage, te brouiller la vue et transformer les sols terreux en des marres de boue de salissant pour te faire souillon m’insupporte. Je continue à débattre intérieurement sur la pluie et le beau temps pendant plusieurs longues minutes. C’est une petite voix qui me fige dans mes profondes réflexions.

-Je m'appelle Meelin, mais tu peux m'appelé Meel, Silence, ma maman....elle ma abandonné, et récemment j'ai découvert qu'elle était morte. Autre silence. Je faisais ici seule, parce que je suis seule, je voulais boire, mais la rivière le sol n’était pas solide et je suis tombée.

Je la dévisage avec un étonnement astucieusement dissimulé. Si jeune et déjà un triste passé. Une enfance gâchée par des actes insensés. Me couchant à sa hauteur, je lui donne une lèche sur le front.

-Désolée.

Ma voix n’est que murmure. Mes prunelles tirant sur un bleu/vert parfait reflètent ma compassion. Lui adressant un pauvre sourire, je me présente à mon tour.

-Danaë, bras-droit Nightmare.

Mon ton est mielleux. Je retiens à grande peine une grimace de dégout. Danaë, louve sanguinaire qui répond à une boule de poil qu’elle pourrait croquer avec une voix mielleuse sans arrogance ni rien. Brrrrr… Décevant. Je ne vaux pas mieux que les Heavens au grand coeur. Je me dégoute. Reprenant mes esprits, je me lève. N’écoutant que mon instinct, j’aide la petite à se mettre sur patte.

-Viens boire.

Encore ce tom hideux mais cette fois employé fermement. Un ordre. Je me reconnais un peu mieux. Je m’avance vers la rivière, où le talus s’affaisse en pente douce pour atteindre au plus près l’eau. Atteignant son bord, je me penche et lape l’onde fraîche.